L'art, c'est essentiel: les émotions devant les oeuvres / 2

Une oeuvre vous a rémué.e, modifié.e? Partagez cette émotion. "L'art, c'est essentiel!" pour les regardeurs aussi. Mode d'emploi: on publie directement dans le groupe! Une image de l’œuvre (si possible), son titre, son auteur, et notre expérience.

 Par Odile Massart

Émotion devant une œuvre?
J'ai envie de revisiter les souvenirs de mes premiers contacts avec les œuvres d'art.
Il ne s'agit pas de fiction, mais de lointains souvenirs d'enfance ; au risque d'une part de reconstruction.
Le début fut rude. Comme dans la chorée de Huntington, j'ai commencé par recevoir une gifle paternelle devant « Le Berceau » de Berthe Morisot. Motif : dissipation lors de la visite d'une exposition (la maternité et la paternité peuvent emprunter des chemins différents).
Devant l'indiscipline au Musée, il fut décidé que nous visiterions plutôt les églises romanes de la région.
C'est devant la Fuite en Égypte de Saint Lazare d'Autun que le virus me frappa. Il ne toucha pas que ma vue, il m'atteignit toute entière. Mon regard fut fasciné par la force de cette invitation biblique au voyage, mêlant sur les visages de pierre fatalité, crainte et espoir. Mais je fus aussi très sensible à l'ambiance subtilement contrastée du lieu, chapiteaux très ornés mais sobriété de l'architecture, silence respecté malgré le fond musical de chant grégorien, alternance de zones de lumière et pénombre...
C'était il y a longtemps, au siècle dernier... mais l'enchantement dure ou plutôt se renouvelle. Même si j'ai fait beaucoup de découvertes depuis. Cette expérience initiale devint une maladie chronique dont je ne souhaite pas guérir.
Une vie ne suffira pas. 
 
 

 Par Jean-Philippe Jarlaud

Quand on s'intéresse à la photographie, on croise forcément des photographies de Nan Goldin. Et je n'aimais pas ces images de marginaux, hors codes esthétiques; le journal intime, ce n'était pas mon truc. Jusqu'au moment où j'ai vu son installation vidéo "Soeurs, Saintes et Sibylles".

Dans une ancienne église, un échafaudage, 3 pans de murs-écrans, une plate-forme pour les regardeurs; en contrebas, la reconstitution d'une chambre. Celle la soeur de NG, Barbara, qui s'est jetée sous un train alors que Nan avait 11 ans. Elle ne supportait plus les attentes sociales, familiales extrêmes pesant sur les filles des années 50/60.

À 18 ans, un psychiatre prédit à Nan Goldin qu'un jour elle se suicidera comme sa soeur. Alors elle se met à photographier. Le traumatisme devient création artistique. "Je croyais que la photographie était la seule chose qui pourrait me sauver la vie."

Elle photographie les corps de ses ami.e.s, le sien, corps marginalisés, malmenés, violentés, malades. Mais qui parlent autant de mort que d'amour de la vie, d'amitié.

"Soeurs, Saintes et Sibylles", donc. Les images du diaporama défilent sur les 3 écrans: de sa famille, de sa vie, de son cercle. C'est dense, cruel, poignant. C'est un mausolée. Ses photographies, nées d'un drame personnel, sont un hymne à toutes les femmes qui ont été détruites, enfermées par la société, la domination masculine, et aux femmes qui se rebellent mais paient le prix fort.

Des années après, la même boule dans la gorge est là.

https://tdnangoldin.wordpress.com
http://sainagasydadabe.blogspot.com/2014/05/goldin-nan-soeurs-saintes-et-sibylles.html



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